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Pascal Laborde

le graphite creusant la page s'emploie à dévoiler un singulier cheminement, comme rivé au sol"

Depuis quelque temps le travail de Pascal Laborde s'ouvre à la notion de paysage. Lorsqu’il s’agit de dessiner, le graphite creusant la page s'emploie à dévoiler un singulier cheminement, comme rivé au sol. Davantage chemin de traverse que ruban d'asphalte, fossés et bas-côtés que bande d'arrêt d'urgence, la recherche d'une minutie dans la représentation des sols inquiète le regard ; image fragile, figuration instable de matières informes, boue, terre, pierres, cailloux.

Dans la série « western déco », le dessin saccage littéralement l'image : des photographies d'intérieurs, des pages de magazines de décoration, salons bourgeois, lofts et autres vestibules au design soigné. Pascal Laborde y installe l'informe, boue, sillons, flaques, tas, des creux qui font tache au cœur de l’idéal photographique, évoquant le sublime romantique de la catastrophe. Le détournement qui s'y opère interroge le statut de l'image au sens où le dessin vivant assaille et pervertit l’idéal glacé. Une scène d'intérieur se défait au profit d'un paysage qui la ronge, l'occupe et la parasite : habitat précaire ou ruine moderne.

Le détournement qui s'y opère s'avère encore plus flagrant dans la série des footballeurs, « La horde sauvage ». Dans celle-ci, les personnages déploient leurs corps et se contorsionnent dans des sauts et des courses participant d'un jeu dont les règles soudain nous échappent … s'apparentant aux corps suppliciés de l'iconographie baroque autant qu’aux postures drolatiques d’acrobates fatigués.

Ces dessins sont accompagnés d’une série de collages combinant des éléments de paysages provenant de différentes photographies glanées ici et là. Jouant la fiction de l'instantané, les versants des montagnes du Morvan s'articulent avec ceux des Alpes de haute Provence ou encore les crêtes enneigées des Pyrénées surmontent les rochers arides des calanques marseillaises. Cette dentelle d'objets photographiés propose un paysage crédible mais qui, au regard soutenu, fait part de sa fantaisie.

 

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Il y a deux ans, Pascal Laborde a étendu sa réflexion sur le paysage à la peinture et propose des toiles dont la composition s’avère invariable dans sa simplicité : un horizon qui sépare deux espaces, ciel et terre, dans la dimension verticale de la toile. Il s’agit de formats portrait, portraits de paysage car ce dont il s’agit ici c’est de renvoyer la représentation d’identités fortes et de restituer des effets de réel dans l’affirmation d’un « style ». Cela produit dans les accrochages des décalages formels qui renvoient à l’histoire de la peinture et l’utilisation de solutions plastiques propres à certaines époques et certains mouvements picturaux. Sans pour autant sombrer dans le pastiche, cette série  offre des rapprochements plus ou moins incongrus, s’apparentant à une forme de « jet lag » visuel D’une représentation pittoresque propre aux naturalistes, à un décor où situer une scène champêtre dans la pure tradition classique ou de la description d'une nature sublimée et idéalisée chère aux  artistes romantiques aux paysages de couleur pop renvoyant à la Californie des années 60, notre regard passe littéralement du coq à l’âne dans les multiples combinaisons

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Pascal Laborde en résidence aux Ateliers de Coussay

La peinture de paysage peut intégrer, simultanément, au sein d’un même tableau, des pratiques très différentes, créant un système de tensions internes contradictoires. L’éclectisme dont il serait question ici, dans l’œuvre de Pascal Laborde, mettrait en dialectique des ciels assez classiques, clairs, profonds et lumineux, à la manière hollandaise d’un Van Eyck mais interrompu, à mi-hauteur, par leur partie terrestre, constituée de lambeaux de couleur intriqués, comme une sorte de stratigraphie imaginaire.

 Les paysages (toujours inhabités) de Pascal Laborde confrontent, en équilibre, air et terre, ciels et sols, dans des torsions de styles anachroniques : ciels classiques des paysages hollandais côtoient, bloc contre bloc, des sols dont la seule stratigraphie n’est, en fait, qu’une superposition de bandes de couleurs qui en révèlent leur geste fondateur.

 Les Paysages improbables de Pascal Laborde, soulignant, dans certaines œuvres, la présence silencieuse de solides géométriques évidés, conjuguent dans une perspective encore traditionnelle des pratiques qui le sont moins, comme des bandes colorées juxtaposées, rappelant les peintres du Color Field américain comme Kenneth Noland, par exemple.

 De ces régimes contradictoires, Pascal Laborde invente la réalité de ses paysages en convoquant des oppositions génératrices de mouvement entre proche et lointain, précis et flou, dur ou soft, représentation distancée ou proximité de la matière…Le mouvement de l’œil du regardeur se déplace dans un paysage imaginaire en rencontrant le geste de son auteur qui l’a construit.

 La peinture n’est pas, quoiqu’on dise, une activité solitaire. Elle propose une promenade à deux (auteur et regardeur) par des chemins balisés par endroits, dont il se doit, de temps à autres, d’en perdre les repères, avec délectation…

 

Patrick Lhot, été 2022

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